They Live
Superstars au cinéma

Superstars au cinéma #3 : Roddy Piper dans They Live

Après deux volets consacrés à des figures de proue de la fédération de Stamford, il est temps de s’attaquer à une légende un peu moins emblématique mais qui aura marqué le cinéma à l’inverse de ses collègues par un rôle : celui de John Nada dans They Live de John Carpenter. Car oui, fait exceptionnel de cette chronique, le film est intelligent, critique et de bonne qualité. 

Langue bien pendante du catch des années 1980, Roddy « Rowdy » Piper est un top heel reconnu, une icône moins en vue dans la culture populaire actuelle que Hogan et The Rock mais qui aura marqué sa période avec notamment son Piper’s Pit et une rivalité avec Hogan qui mis en avant des célébrités tels que Cindy Lauper ou Mister T. Et alors que Hulk Hogan avait fait ses premiers pas au cinéma avec Rocky III, They Live (ou Invasion Los Angeles en VF) est le premier long métrage avec une superstar de la WWF en rôle principal. Et si associer un catcheur à John Carpenter ne paraît pas si évident que cela, le choix devient logique une fois le film achevé. De plus, Piper faisait une pause avec le catch en 1988, lui permettant de se consacrer entièrement à son rôle.

Il m’est difficile d’ailleurs de parler du film sans aborder le cas John Carpenter. Grand homme du cinéma de genre, il est le papa de Halloween (1978) ou encore The Thing (1982), faisant de lui l’une des icônes du cinéma d’horreur. Mais Carpenter, c’est aussi un cinéaste très acerbe dans sa mise en scène, un critique doté d’une vision assez pessimiste de la société. C’était le cas notamment avec New York 1997 (1981) où il présente un futur dystopique avec l’Île de Manhattan transformée en prison géante. Ici, avec They Live (1988), c’est un film plus léger mais tout aussi critique que le cinéaste réalise. Tout cela avec un budget restreint suite à l’échec de Big Trouble in Little China (1986) qui l’a un peu exclu du système hollywoodien.

Le film nous présente John qui est un sans domicile fixe, ouvrier à la recherche d’un emploi et voguant un peu dans la cité des Anges. Il est confronté au patronat et à l’équivalent américain de Pôle Emploi – avec la même nullité pour lui trouver du boulot – où il essuie quelques échecs avant de trouver un boulot sur un chantier où il fait la rencontre de Frank qui le mène dans un bidonville voisin, où une sorte de communauté s’est formée. On voit le petit et gentil peuple, qui galère mais avec le sourire.

Même à la cantine on ne crache pas sur le rab' de petits pois.

Même à la cantine on ne crache pas sur le rab’ de petits pois.

Mais John suspecte un groupe dont Gilbert semble être le leader de cacher quelque chose. Gilbert est un gars croisé précédemment dans un bidonville et qui est accompagné par un prêcheur que John a déjà écouté lors de ses errances dans Los Angeles. Ce dernier décide alors de surveiller le groupe et découvrir leur secret. Et en effet, après avoir espionné ceux qui se font passer pour une paroisse, John découvre des caisses remplies de lunettes de soleil qui semblent destinées à être distribuées. Il laisse tout cela en place, et peu de temps après, la police effectue un raid qui n’a pas à rougir face à ceux effectués dans les favelas brésiliennes. On détruit tout et John voit le groupe s’enfuir mais pas pour très longtemps.

Trouvant tout cela louche, il retourne chercher une boîte des fameuses lunettes, cachées dans un faux mur. Il sort de la zone où la police a effectué le raid pour tenter de trouver ce qu’il y a de si spécial dans ses boîtes. Ne trouvant rien d’autres que ces lunettes, il les essaie et se frotte à une nouvelle vision du monde, découvrant un secret terrifiant grâce aux verres créés par le groupe de Gilbert. Il va de découverte en découverte, non sans susciter les interrogations des personnes aux alentours, et de la police qui l’agresse. John tue deux officiers en raison de ses découvertes, et s’introduit dans une banque.

Piper sort alors une réplique qui reste encore un classique de la pop culture « I have come here to chew bubble-gum and kick ass. And I’m all out of bubble-gum. » Cette réplique est directement reprise dans la série vidéo-ludique Duke Nukem et montre un peu le côté cliché de la phrase, même si elle fait une punchline de folie. La barrière est franchie pour John, qui semble péter un câble et tire dans le tas, enfin presque.

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La chemise à carreaux et le jean délavé, la tenue des vrais héros badass.

En prenant la fuite, il prend en otage Holly, la directrice de programmation de Channel 54, qui est forcée de l’amener chez lui. Tentant de la convaincre de porter des lunettes, il se laisse endormir avant de se faire jeter par la fenêtre afin de faire une longue chute où il finit pas mal amoché. Holly est une femme forte, indépendante et le personnage le plus flou du film. Comme quoi, même dans les années 80 c’était possible de faire un personnage féminin intéressant, pas d’excuses pour Le Roi Scorpion donc.

Pas décontenancé par ce refus, il tente d’embarquer Frank dans l’aventure, et le persécute pour qu’il mette ses lunettes, ce que Frank refuse, conservant une ligne qu’il a depuis le début du film, celle d’un homme qui ne veut pas avoir de problèmes et juste subvenir aux besoins de sa famille. S’en suit la scène d’affrontement à mains nues la plus longue et la plus étrange de l’histoire du cinéma. Il faut savoir que Roddy Piper a eu carte blanche pour la chorégraphie de ce combat, qui se révèle à la fois violent et comique, un peu dans l’esprit même du catch.

On se demande quand est-ce que cette bagarre de rue va se terminer car les deux compagnons se collent de sacrées beignes tout au long. C’est au moins cinq minutes du film. Juste pour le convaincre de mettre des lunettes. Ce mélange de comédie et d’action peut-être assez décontenançant par sa durée, mais devient jouissif au fur et à mesure. Enfin convaincu par John, Frank se laisse embarquer pour débusquer ce qui est révélé par les lunettes et on se lance vers une série de scènes entre l’organisation d’un groupe de résistants et une infiltration assez brutale.

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(Glisser votre vanne sur la constipation passagère ici)

Brutale, c’est ce qui définit aussi la fin du film, qui s’achève par la révélation et non la résolution du problème. Un timing assez étrange quand on y pense, puisque c’est l’apanage des films d’action d’offrir un héros triomphant de l’ennemi qu’il doit affronter. Ici, Carpenter préfère laisser cette fin logique et prévisible dans l’imagination du public. Un choix qui évite au film une perte de dynamisme et de rythme pour finir sur le summum de l’action. Tout est logique dans cette construction et il n’y a pas d’acte supplémentaire inutile.

Lourdement inspiré de L’invasion des profanateurs de sépultures, le film de John Carpenter donne une autre dimension à l’œuvre, une adaptation qui donne une critique acerbe du capitalisme et du désordre qu’il laisse dans les différentes classes de la société. C’est surtout la critique de l’ascenseur social qui est faite, la recherche avide et cupide du luxe attisée par une société qui encourage au succès et la richesse. On sent tout l’humour noir de Carpenter, avec le ton très léger abordé malgré la lourdeur de sa critique.

Celle-ci est dissimulée derrière ce héros, John, dont le nom de famille au générique – puisqu’il n’est jamais prononcé dans le film – est Nada, rien en espagnol. Ce nom appuie le statut assez interchangeable du héros, dont le prénom est lui très commun aux gentils du cinéma. Celui-ci s’efface donc volontiers au profit de la critique apportée par Carpenter par son côté cow-boy assez usé, et des répliques typique du genre.  Ces caractéristiques permettent à Piper d’être très à l’aise dans ce rôle, n’ayant pas besoin de déployer un talent surhumain pour jouer ce personnage.

-Tu déconnes? Cette coupe c'est du boulot à entretenir.

-Tu déconnes? Cette coupe c’est du boulot à entretenir.

They Live est de loin le meilleur film avec un catcheur à l’intérieur. L’intrigue est d’une force indéniable ce qui fait du film un récit tout à fait saisissant. Toutefois, la forte différence entre le ton abordé et la critique acerbe qui se cache derrière peut être parfois gênante, ainsi que le manque de soucis pour les héros. Si l’on sait pourquoi ils sont effacés, il est assez dérangeant de manquer d’attachement envers ces personnages et de reste juste le témoin de leurs actions plus ou moins folles. Une distance s’effectue avec le film qui, en martelant sans cesse son discours, crée un éloignement du spectateur avec les personnages, dont le sort ne nous soucie que trop peu.

Reste cette critique, assez jubilatoire, très marquée politiquement. Carpenter traite avec une vision pessimiste de la paranoïa autour des machinations et complots effectués par les « puissants » qui arrivent à détourner le peuple de son destin par des distractions futiles. On se risquerait presque à dire que c’est d’extrême gauche, même si on en restera à souligner que la critique du capitalisme est profonde, et si son système économique n’est pas clairement visé, c’est bien sa construction et ce qui en est fait avec la publicité et l’enrichissement rapide qui est critiquée.

Si l’on devait ne vous en conseiller qu’un seul en terme de qualité avec cette chronique, ce serait sûrement celui-ci. Mais avant de retourner directement dans le fleuve – pour ne pas dire l’océan – de films d’action fourrés à la testostérone, on ira dans le prochain numéro à la rencontre d’un big man versatile, quarantenaire et qui fait partie des meubles à la WWE.

-Je crois qu'on parle de moi, ou de toi, ou de moi peut-être, ou de toi, ou de ...

-Je crois qu’on parle de moi, ou de toi, ou de moi peut-être, ou de toi, ou de…

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