Décryptage

La WWE, Becky Lynch et un public à qui on ne la fait plus

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Emplie de frustrations, Becky Lynch s’est retournée contre Charlotte Flair et le public a pris son parti. Ce n’était visiblement pas ce qu’attendait la WWE.

Kareem Black/WWE

Elle l’a fait. À WWE SummerSlam 2018, Becky Lynch a laissé éclater sa rage. Elle s’est retournée contre celle qui nous était présentée comme sa meilleure amie après le match de championnat que Charlotte Flair a remporté après s’y être en quelques sortes incrustée tandis que Becky Lynch pensait son moment de briller venu. La suite des événements n’a pas été à la hauteur des attentes, un mélange de confusion et de frustration s’est installé depuis mardi.

On ne retirera pas à Becky Lynch la puissance de ses mots et ses qualités d’oratrice en tant que heel comme elle nous l’a prouvé mardi dernier à SmackDown Live. Et c’est sans doute ce qui a poussé la WWE à aller dans ce sens, elle est convaincante dans ce rôle. Le public n’a pas suivi et pour cause : la WWE elle-même n’a pas suivi le public.

Pour comprendre ce qui ne va pas dans cette storyline, il ne faut pas hésiter à penser le plus simplement possible. Mettre de côté les histoires de mérite, d’accomplissement et ne penser qu’à ce qui fait réagir le public le plus simplement possible. Cette rivalité entre les deux catcheuses est un classique, celle de la catcheuse qui se voit mise de côté au profit d’une autre catcheuse préférée par ses supérieurs.

Becky Lynch, heel en position de face

Le problème dans cette storyline c’est que dans le contexte actuel, Becky Lynch est en position de face et en a clairement les revendications. Soutenue par le public comme jamais, elle veut à son tour briller et en a marre de voir Charlotte Flair lui passer devant à chaque fois qu’elle en a l’occasion, sous-entendu poussée par les dirigeants de la WWE. Le public attendait avec impatience ce retournement de situation. Il voulait voir Becky Lynch s’en prendre à Charlotte Flair pour qu’elle sorte du rôle de « l’amie de Charlotte ».

La storyline est on ne peut plus claire. Tout juste revenue, Charlotte Flair s’est incrustée dans le match de championnat de SmackDown face à Carmella, a déclenché la méfiance de Becky Lynch qui se doutait que cela ne lui serait pas favorable, et a remporté le titre. Ce match était pourtant l’occasion pour Becky Lynch de remporter le titre et de revenir sur le devant de la scène, et son moment lui a été volé par Charlotte Flair. Résultat: Becky Lynch est furieuse, s’en prend à la nouvelle championne, et le public qui la comprend la soutient.

Cela va même plus loin, Becky Lynch se plaint aussi, notamment dans une interview kayfabe donnée au podcast « Gorrilla Position », des opportunités qu’elle n’a pas en raison de son physique qui ne serait pas à l’image de ce que veut la WWE.

Je suis la meilleure, et pourtant je n’ai pas ces opportunités. Pourquoi cela ? Parce que je ne suis pas blonde ? Parce que je n’ai pas assez d’atouts ? J’en ai marre.

Si ce discours qui sur la forme attaque le physique et semble totalement heel, il touche un nerf sensible de la division féminine de la WWE. Le physique des catcheuses a longtemps été dit être une manière pour celles-ci de se démarquer des autres et de leur permettre d’être bien vues en coulisse. Si l’on n’a pas la preuve de cela, c’est un argument totalement recevable dans une storyline et auprès du public… quand on est face. Depuis quand dans une fiction la blonde populaire d’une communauté, qui plus est opportuniste, est la gentille de l’histoire ?

Charlotte Flair n’est clairement pas mauvaise catcheuse, mais la voir de nouveau championne et ce pour la septième fois (tout de même) en trois ans dans le roster principal alors qu’elle a encore du temps devant elle pour accomplir énormément de choses, on se demande si cela ne va pas un peu trop loin. Il aura fallu sept ans à Trish Stratus pour obtenir le même nombre de championnats féminins à la WWE, par exemple.

Un public qui sait et qui demande

Le public lui sait tout ça. Il comprend, ou interprète, la frustration de Becky Lynch devant une Charlotte Flair qui tout sourire lui passe devant et prend le titre de championne de SmackDown qu’elle désirait tant.

On peut expliquer ce phénomène de heel acclamée par non seulement l’évolution du catch, mais aussi par la perception de celui-ci par le public qui a énormément changé ces dernières années. Internet a popularisé l’information catch qui il y a encore dix ans était réservée aux fans aguerris et renseignés qu’on appelait les « smarts », un terme qui aujourd’hui parait dépassé tant il est facile d’accéder à tout un tas d’informations sur notre culture, sur les catcheurs et catcheuses et les dernières actualités des coulisses.

Tout le public sait, ou pense, désormais que Becky Lynch n’est peut-être celle que la WWE préfère mettre en avant et s’identifie facilement à celle qui est rejetée.

Si c’est une chose qu’on aimerait ne pas lui reprocher, le nom de Flair n’est aussi sans doute pas étranger à la vindicte que subit Charlotte Flair. Dans l’opinion général, on a tendance à penser que les fils et filles de sont les plus favorisés dans de nombreux domaines et le catch n’y échappe pas. Difficile dans ce cas d’en faire des faces.

Ce n’est pas la première fois que cette situation se présente à la WWE. On peut par exemple prendre le cas de Rusev qui a longtemps été over auprès du public, un popularité dont la WWE n’a jamais cherché à profiter et l’a longtemps proposé en tant que heel malgré un public acquis à sa cause — il aura quand même eu un match pour le titre de champion de la WWE face à AJ Styles à Extreme Rules, mais qui sera vite oublié.

La WWE n’a plus le choix aujourd’hui, si elle veut continuer à faire en sorte que l’équilibre face/heel soit suivit par le public, elle doit l’écouter et le suivre. Les catcheurs et les catcheuses ne sont plus de simple comédien·ne·s à qui l’ont dit d’être gentil·le·s ou méchant·e·s, mais des personnages suivis sur et en dehors du ring qui récoltent de la sympathie ou de la haine à travers ce qu’ils font mais aussi ce qu’ils sont.

De nos jours il n’est plus possible pour la WWE de ne plus suivre son public tant elle l’engage elle-même dans tout ce qu’elle produit — réseaux sociaux, documentaires sur les coulisses pour le WWE Network, tout en flirtant de plus en plus avec la limite kayfabe/réalité.

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