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Culture Catch

#BlackLivesMatter à travers le monde du catch

Comment le monde du catch, de plus en plus diversifié mais toujours un peu conservateur dans son fonctionnement s’est retrouvé lui aussi dans le mouvement #BlackLivesMatter.

WWE

Le monde entier parle de la mort de Georges Floyd, homme de 46 ans afro-américain. Une vidéo montrant un policier en train de l’asphyxier a fait le tour des réseaux sociaux et a suscité une indignation internationale. Beaucoup de célébrités ont pris la parole à ce sujet pour condamner les violences policières mais aussi pour montrer leur soutien à la communauté noire en utilisant le #BlackLivesMatter. Des pétitions, des dons et des appels à manifestations ont circulé sur les réseaux sociaux de personnalités. Bien évidemment, des catcheur·se·s ont également pris position sur le sujet. Un sujet politique d’une telle ampleur ne pouvait être évité par les grandes entreprises.

La WWE, un virage étonnant

À la WWE, les sujets politiquement tendus ou donnant lieu à des débats ne sont que très peu abordés. Au risque de froisser une partie de l’audience, il vaut mieux éviter de parler de sujets qui fâchent ou qui divisent. Malgré tout, l’entreprise ne s’empêche pas et n’empêche pas à ses salariés de faire la promotion de personnalités politique. C’était le cas de John Cena avec Georges W. Bush par exemple. Mais bien évidemment, ce sont les grosses têtes de l’entreprise qui se permettent de parler car ils ont une position de privilégiées dans l’entreprise. Cependant, cette fois, quasiment toutes les Superstars se sont saisis du sujet et quasiment à l’unanimité ont scandé #BlackLivesMatter. Une prise de position qui risque de mettre à dos une grosse partie de leur audience majoritairement conservatrice.

Charlotte Flair, habituellement très silencieuse sur les sujets politiques, a tweeté un simple #BlackLivesMatter. Mais elle n’a pas fait que cela, l’ex-championne de NXT a aussi retweeté un thread qui avait l’air de vouloir expliquer pourquoi elle était sur-côté mais qui au final dirigeait vers des liens de pétitions. Paige a aussi été très présente sur les réseaux sociaux, que cela soit Instagram ou twitter. Sans avoir peur de se confronter aux racistes et de perdre des followers. Revers de la médaille : l’ancienne catcheuse a perdu plus de 6000 followers depuis qu’elle a commencé à prendre parti pour la cause. Elle continue d’ailleurs de récolter de l’argent pour le mouvement Black Lives Matter à travers ses lives Twitch.

Mustafa Ali a quant à lui parlé de son expérience en tant qu’ancien policier racisé au sein de la police. Avant d’être catcheur, Ali exerçait en effet dans les forces de l’ordre et raconte avoir toujours insisté pour éviter ce genre d’incident mais a également souligné le fait qu’il y avait bel et bien du racisme dans la police. Toujours avec une pédagogie et un calme étonnant. Les Bella Twins ont également choisi la pédagogie. Les deux soeurs ont volontairement choisi de ne pas prendre position elle-mêmes et ont préféré partager des articles écrits par des personnes racisé·e·s, notamment sur pourquoi il était nécessaire d’écrire #BlackLivesMatter et pourquoi le #AllLivesMatter était raciste dans leur story Instagram. Une belle utilisation de leur plateforme qui contient à elles deux, plus de 17 000 000 de followers.

CM Punk est quant à lui resté fidèle à lui-même en dénonçant directement les personnes racistes. L’ancien champion de la WWE s’est exprimé sur le sujet dans l’émission WWE Backstage où il est chroniqueur, y expliquant notamment qu’il ne jugerait pas les émeutes car il comprend l’énervement de la communauté noire aux États-Unis. Sur Twitter, Punk a aussi conseillé de dire au revoir à toutes les personnes racistes de votre entourage. « Cela peut être malheureux et décevant si vous êtes fan de cette personne, ou si c’est votre grand-mère, mais qu’ils aillent se faire voir. Au revoir ! » Un fan l’a également interpellé pour lui demander ce qu’il pensait du silence d’AJ Styles sur le sujet. Tweet auquel CM Punk a répondu : « Allons. Lui on savait depuis longtemps. », insinuant qu’AJ Styles est raciste. Le tweet a depuis été supprimé.

La prise de position de ces Superstars ne surprendra pas grand monde, celles-ci sont déjà plutôt engagées sur les réseaux sociaux. D’autres ont par contre surpris de par leur prise de position, comme par exemple Randy Orton, connu pour être plutôt conservateur habituellement, qui a tweeté le hashtag #BlackLivesMatter suivi d’un autre tweet où il expliquait en réponse à un autre utilisateur de Twitter : « Toutes les vies ont leur importance, mais ce que je voulais faire comprendre c’est que j’ai finalement réalisé que tant qu’on aura #BlackLivesMatter, ce ne sera pas le cas. Tu captes ? » Randy Orton avait auparavant pris position pour le All Lives Matter, avant visiblement changer d’avis sur le sujet.

John Cena ne s’est lui pas contenté de tweeter, puisqu’il a en plus fait un don d’un millions de dollars au mouvement Black Lives Matter.

Au sein de la WWE seul Jaxson Ryder, leader du clan The Forgotten Sons n’a pas eu peur de se mettre ses collègues à dos en tweetant son soutien à Donald Trump. « Heureux du président que nous avons ! Que Dieu bénisse les États-Unis. Construite pour la liberté. Forgotten no more (sa catchphrase). » a-t-il tweeté. Sami Zayn, Batista ou encore Kevin Owens ne se priveront pas de recadrer le catcheur récemment arrivé à SmackDown. Son partenaire Steve Cutler a lui aussi tenu à mettre certaines choses au clair et à se désolidariser des propos de Ryker, « Je suis ma propre personne avec mes propres convictions, même si je fais partie d’une équipe. »

Sur les réseaux sociaux… et sur le ring

Au-délà des réseaux sociaux, des Superstars se sont aussi exprimés en live lors des shows, comme par exemple Keith Lee qui lors du show NXT TakeOver in Your House a décidé de porté une tenue de ring avec écrit au dos : Black Lives Matter. De même, lors de Friday Night SmackDown le 12 juin dernier, Big E et Kofi, tout deux membre de New Day, ont réalisé plusieurs actions pour soutenir la cause.

Les New Day ont ainsi posé un genoux à terre lors de leur entrée, geste symbolique utilisé contre les violences policières, notamment par les sportifs lors des compétitions pendant l’hymne national américaine  — le footballeur américain Colin Kaepernick avait été suspendu par la NFL pour avoir fait ce geste. Les champions par équipe de SmackDown avaient aussi des brassards avec écrit dessus : « Shukri, Tamla et Breonna », d’autres victimes de violences policières qui n’ont malheureusement toujours pas reçu de justice.

Avec toutes ces réactions de leurs employés, la WWE ne pouvait pas rester silencieuse. Ce n’est un secret pour personne, la famille McMahon est une famille pro-Trump et ne s’en cache pas. Linda McMahon, actionnaire de la WWE et femme du président de la WWE Vince McMahon a été membre du cabinet ministériel de Donald Trump tandis que lors de son élection, la famille McMahon entière ainsi que Triple H se sont rendus dans le bureau de la maison blanche pour prendre une photo avec le nouveau président. Donald Trump est également Hall of Famer de la WWE.

On pourrait ainsi penser que la WWE choisisse de suivre sa ligne de conduite, mais il n’en est pas ainsi. Premièrement, c’est Stephanie McMahon qui a clairement montré son soutien à la cause sur Twitter en partageant un article sur un discours porté par Titus O’Neil qui demandait aux personnes blanches de revoir leur privilège et en tweetant quelques jours plus tard une phrase de Martin Luther-King « Au final, on ne se souviendra pas des mots de nos ennemies mais on se souviendra du silence de nos amis » suivie d’une phrase qu’elle a écrite : « J’aime et je soutiens mes amis et mes collègues noir·e·s. À tout ceux qui ont déjà senti l’impact et la peur de l’injustice raciale, j’utiliserai ma voix pour vous. » Un message très fort appelant ses employés à prendre position.

Le 2 juin, soit huit jours après la mort de Georges Floyd et après plusieurs jours d’émeutes aux États-Unis, la WWE a publié un communiqué de presse :

La WWE soutien une société inclusive et condamne les injustices raciales. Nous soutenons nos talents noirs, employés, et fans autour du monde, et encourageons tout le monde à utiliser sa voix pour se dresser contre le racisme. Nous adressons nos sincères condoléances à la famille de George Floyd et à la famille de nombreux autres qui ont perdu la vie en raison de violences insensées.

Ce communiqué de presse ne prend pas trop de risques. En effet, la WWE ne mentionne aucunement le mouvement Black Lives Matter qui manifeste dans la rue et ne parle pas non plus de violences policières dans son communiqué, restant ainsi dans le politiquement correct. Bien évidemment, de par le passé de la compagnie de Stamford, les réactions après la publication de ce communiqué ont fusé sur les réseaux sociaux. Beaucoup accusent les McMahon de récupération politique et d’hypocrisie, notamment concernant leur lien avec Donald Trump. « Retirez Donald Trump du Hall of Fame. Maintenant. » ou encore « Non. Vous n’avez pas le droit de faire ça. » pouvait-on lire sur Twitter à la suite de la publication de ce communiqué.

Ce qui est à retenir c’est que la WWE est visiblement en train de comprendre qu’elle doit changer sa manière d’aborder la politique. Comme avec la révolution féminine, elle réalise qu’elle doit changer sur certains terrains et évoluer avec la société. La WWE a par exemple choisi de ne plus être validiste et ne souhaite plus se moquer des handicaps, comme elle l’a fait auparavant. Le mot « Crazy » (fou) a d’ailleurs été banni du vocabulaire à utiliser dans les promos, comme le racontait Taynara Conti LIEN, ancienne Superstar de NXT.

L’effet Inverse à la AEW

Étonnamment, la All Elite Wrestling a été beaucoup moins réactive que la WWE sur ce sujet. Pourtant, lors de la création de la promotion, Cody et Brandi Rhodes avaient souligné le fait de vouloir faire de l’AEW l’entreprise de catch la plus inclusive au monde.

Lors d’une conférence de presse, Cody Rhodes avait d’ailleurs parlé du privilège blanc qu’il détenait et avait confirmé s’en être rendu compte lorsqu’il a épousé Brandi, qui est une femme noire. L’actuel champion TNT a dit qu’à partir de cela, il souhaitait mettre en avant la couleur des personnes qui travaille pour lui et avoir un roster multi-ethnique. Cette conférence de presse avait été partagée par la député progressiste du Bronx, Alexandria Ocasio-Cortez qui avait félicité l’initiative de l’ AEW. « Voici à quoi ressemble le progrès dans le discours que l’on tient sur les problèmes raciaux du pays. Merci d’avoir partagé votre expérience @CodyRhodes «  avait-elle tweeté.

Ainsi, l’AEW se veut être plus inclusive que cela soit sur la couleur de peau, la religion ou l’orientation sexuelle. Nyla Rose, femme transgenre amérindienne était d’ailleurs devenue le visage de l’AEW dans la presse comme la figure de proue de la division féminine. Avec cette image, on aurait supposé que l’AEW soit la première à dénoncer ce qui se passe aux Etats-Unis, mais malheureusement tout le monde n’a pas suivi.

Cody Rhodes avait été l’un des premiers à tweeter son soutien à la famille de Georges Floyd en utilisant directement le #BlackLivesMatter. Malheureusement, son message a été entaché par l’une des plus grosses stars de l’entreprise, Chris Jericho. En effet, celui-ci n’a pas hésité à s’exprimer sur Instagram en postant une image « non au racisme, non aux émeutes » ce qui a beaucoup énervé la communauté noire qui suit le catcheur. En premier lieu parce que demander à des personnes qui se font tuer d’exprimer leur douleur et leur haine en silence quand l’on ne fait pas soi-même face à cette violence est clairement déplacé. Mais c’est surtout un un commentaire avec le hashtag #AllLivesMatter posté en réponse à un autre #BlackLivesMatter qui a quelque peu choqué son auditoire. Chris Jericho aurait mieux faire de demander quelques conseils à Randy Orton.

Chris Jericho a été ainsi lourdement critiqué et celui-ci n’a pas une seule fois cherché à se remettre en question. Shanna, catcheuse franco-portugaise à la AEW a aussi donné son avis sur les émeutes violentes qui ont lieu aux États-Unis en les condamnant mais elle n’a pas écrit de message pour Georges Floyd et ne s’est pas exprimé sur le #BlackLivesMatter, recevant ainsi beaucoup de commentaires exaspérés.

La prise de position de Chris Jericho a mis dans l’embarras l’entreprise. Tony Khan a répondu à Linda Hogan, ex-femme d’Hulk Hogan qu’on ne présente plus depuis sa sortie raciste qui lui avait valu une mise à pied de la WWE. Après que celle-ci ait soutenu Donald Trump, Tony Khan, président de l’AEW lui annonce sur Twitter qu’elle est banni à vie des shows de l’AEW, comme son mari l’a été. Un arrivisme qui n’a pas manqué d’être pointé du doigt par ses followers. « Chris Jericho est toujours dans votre roster alors qu’il lâche des merdes comme All Lives Matter et Jake Hager continue d’aimer des tweets transphobes. Faites quelque chose à propos de cela au lieu d’essayer de gagner des points « woke » en banissant quelqu’un qui, de toute manière, n’allait jamais venir à l’un de vos shows » a tweeté une personne en réaction.

Rappelons par ailleurs que Shahid Khan, investisseur principal de l’AEW avait financé une partie de la campagne présidentielle de Donald Trump.

Finalement, c’est très tardivement, le 4 juin que l’AEW réagit en publiant une vidéo où le slogan Black Lives Matter apparaît. Une manière très claire de prendre position politiquement. C’est une manière assez judicieuse de se rattraper et de se détacher des propos tenus par certains de leurs employés.

Et le catch indépendant ?

La plupart des promotions de catch indépendant sont en stand-by, notamment à cause du COVID-19. Peu sont ainsi actives sur les réseaux sociaux. La wXw, promotion allemande, fidèle à elle-même et à son slogan « Love wrestling, hate racism » a pris une position très claire sur les réseaux sociaux. Sous un poste Instagram, la wXw écrit :

#BlackLivesMatter, nous sommes terrifiés par ce qui se passe actuellement. Si vous votez pour Trump en novembre, voici ce que vous soutenez. Vous soutenez l’inégalité des droits humains basiques, vous soutenez des gouvernements qui attaquent leurs citoyens. Nous venons d’Allemagne, nous savons où mène toute cette merde. Et ne vous méprenez pas, si vous votez pour des partis comme l’AFD en Europe, c’est aussi ce que vous soutenez. Vous pouvez le justifier autant que vous voulez, c’est comme ça.

La Ring of Honor a elle aussi publié un communiqué de presse sur le sujet.

« La ROH soutient les manifestations pacifistes qui ont lieu partout dans le pays et qui forcent des conversations et des actions importantes concernant le racisme dans ce pays. La ROH soutient une communauté diverse et inclusive qui traite les personnes avec le respect et la dignité qu’elles méritent. Nous utiliserons notre plateforme pour exposer toute forme de racisme. Nous présentons également nos condoléances à la famille Floyd et nous espérons qu’en tant que nation, nous pouvons nous unir et faire en sorte que de tels évènements n’arrivent plus jamais. »

IMPACT Wrestling ne se sont, quant à eux, pas exprimé sur le sujet. À rappeler que Tessa Blanchard, l’ancienne championne du monde d’IMPACT, avait été accusée de racisme par d’anciennes collègues en indie. IMPACT Wrestling n’a jamais souhaité répondre à la polémique.

Au final, à travers cette mobilisation ou cette non-mobilisation des entreprises de catch, le constate est simple : le catch est de moins en moins conservateur. Les catcheur·se·s sont de plus en plus de personnes issu·e·s d’ethnies différentes et ont de plus en plus de liberté de parole concernant les prises de position politique. Un changement dont on ne peut que se réjouir.

#BlackLivesMatter à travers le monde du catch
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