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Décryptage

Ce que l’on retiendra de cette période de catch sans public

Si le catch indépendant est à l’arrêt, les plus grosses promotions comme la WWE et l’AEW continuent malgré les risques de faire le show. Une période qui nous montre à quel point le catch a besoin de son public, mais durant laquelle il est toujours possible d’innover.

WWE

En cette période de crise sanitaire liée au COVID-19, la WWE et l’AEW se sont démarquées en continuant de produire des shows télévisés, allant même jusqu’à maintenir la diffusion de WrestleMania 36. Un choix qui a fait l’objet de nombreux débats et critiques mais qui nous a mis quoiqu’il arrive devant une situation inédite : regarder du catch sans public dans l’arène.

Des catcheurs, aux équipes créatives, agents, en passant par la production des shows, tout le monde a dû s’adapter aux retraits des cas de Coronavirus, à ceux qui ont préféré à juste titre ne pas prendre de risque à l’image de Roman Reigns et bien entendu, à une arène qui sonne forcément creux. Dans l’adaptation faite par les deux compagnies, on peut dresser un petit bilan du catch sans public.

Une arène vide, des détails qui ressortent

Deux approches ont été visibles du côté de la WWE et l’AEW pendant cette période. La WWE s’est adaptée progressivement à la situation et a souvent privilégié le backstage pour ses promos ou des segments hors ring plus ou moins réussis — oui Mufas… euh Elias, on pense à toi. Pareil du côté de l’AEW où l’on voit plus d’interviews pour faire la promotion d’un match ou des segments chez Chris Jericho et Matt Hardy qui correspondent bien à l’utilisation de Vanguard 1.

Du côté du ring, la WWE n’a rien vraiment trouvé. Les managers sont plus audibles et là dessus Paul Heyman est toujours à distinguer puisqu’il arrive toujours à apporter plus de vie à ce rôle de manager que les autres. Mais en dehors de cela, c’est le vide total, une arène vide qui l’est tout autant visuellement. Un contexte compliqué pour les catcheurs auquel l’AEW a décidé de répondre autant que possible en plaçant des catcheurs aux abords du ring. Une dizaine tout au plus, pas de quoi refaire une ambiance, mais de quoi éviter que certains gestes destinés au public ne tombe dans une ambiance vide. Dix, c’est toujours mieux que zéro — et ça sauve la vie de Marko Stunt.

CM Punk a comparé récemment le catch sans public à « regarder un jeu vidéo », et si l’on parle du jeu vidéo sur le canapé, on comprend la comparaison, mais même l’e-sport s’appuie sur un public pour faire vivre ses compétitions. N’importe quel divertissement qu’il soit compétitif ou non, s’appuie sur la réaction d’un public.

Parce que la première chose qui saute aux yeux quand on regarde du catch sans public, c’est que beaucoup de gestes, de routines des catcheurs, deviennent presque vides de sens sans réaction pour les accompagner. Par conséquent, beaucoup de choses sonnent faux. Les petites mimiques de gimmicks, le côté exubérant, prend moins de sens et on a pas vu énormément de catcheurs adapter ces mouvements là à quelque chose qui aurait pu être plus personnel, plus télévisuel. Ce qui fait fonctionner habituellement les énervements sur les cordes, les grognements ou autres cris, c’est la réaction organique du public. Ici, forcément, ça tombe un peu à plat.

À l’inverse, le fait que les catcheurs tentent de s’approprier tous les recoins du Performance Center du côté de la WWE était assez captivant, avec en point d’orgue l’elbow drop de Kevin Owens depuis le logo de WrestleMania. Johnny Gargano et Tommaso Ciampa aussi ont pas mal fait le tour du PC. Mais ceux qui en ont fait le plus long tour, c’est probablement Edge et Randy Orton.

Un Last Man Standing dur à encaisser

Revenons sur ce cas particulier. Ce match, c’est celui qui a fait l’objet du plus gros nombres de déceptions concernant WrestleMania 36. Une baston entre Edge et Orton dans tout le Performance Center qui a cherché à faire au mieux pour conclure une storyline classique mais habituellement efficace à la WWE. Avec en prime une stipulation de fin de rivalité et que les deux catcheurs ont largement exploré dans leur carrière : le Last Man Standing. Les deux se sont donnés, clairement, il est impossible de leur reprocher l’inverse. Mais dès la stipulation se pose le soucis de l’absence du public. Ce qui comble les temps morts d’un Last Man Standing, ce sont les réactions du public. C’est ce qui fait vivre le match à ces moments là. Alors quand on ajoute le fait que le match dure plus de 35 minutes, la critique de longueur n’est pas injustifiée.

Car c’est là que Edge dans sa réaction sur le podcast de Corey Graves « After the Bell » déclare ne pas comprendre le fait que les gens critiquent la longueur du match. Sans public, avec un rythme aussi cassé, forcément c’était compliqué à encaisser pour les spectateurs. Edge confond la critique du match en lui même et le fait que les gens commentent que plus de 35 minutes dans le contexte actuel, ce n’était pas le plus divertissant.

Ce n’est pas l’intensité du combat qui est critiqué ni l’implication des deux et ce qu’ils ont offert en télévision, c’est tout simplement que les cartes jouaient en leur désavantage. Le même combat, avec un public et des réactions et de l’interaction, et les 35 minutes n’auraient pas du tout semblé aussi longues.

Le cinematic wrestling, star du moment

Deux matchs ont eu les meilleures réactions en ligne pendant WrestleMania : le Firefly Fun House Match entre Bray Wyatt et John Cena et le Boneyard Match entre The Undertaker et AJ Styles. Deux matchs très ancrés aux gimmicks des personnages, deux matchs qui ont révélé une belle variété possible dans le cadre de la WWE et qui sont avant tout efficaces car ils sont éminaments télévisuels. Si le catch emprunte beaucoup au théâtre et à la nécessité d’un environnement live, la WWE est un produit télévisé et on lui reproche souvent ce côté « trop de blabla, pas assez de catch » parce que la WWE se vend comme cette série en continu qui marque l’histoire du catch, qui met des sourires sur les visages et qui divertit avant tout.

Le Boneyard Match en premier lieu était à craindre. Un match gimmick avec The Undertaker, c’était l’occasion pour la WWE de se racheter ou faire pire après le House of Horror de Bray Wyatt et Randy Orton lors de Payback en 2017. Et ce qui a été très plaisant, c’est de voir les équipes de la WWE trouver le juste dosage entre l’action et l’aspect segment du match. Déjà, la mise en scène était plus travaillé, du décor jusqu’aux effets sonores, l’ambiance du match était bienvenue et même les instants les plus kitchs étaient une dose de divertissement supplémentaire.

De l’autre côté, le Firefly Fun House était un gros segment terriblement « meta », un côté auquel il était difficile de s’attendre. Le personnage du Fiend et la Firefly Fun House offre beaucoup de libertés à Bray Wyatt et le voir faire ce voyage dans le temps à la fois des personnages de Cena, des siens mais aussi de faire un voyage dans l’histoire du catch, c’était un délice pour les suiveurs de catch. Les spectateurs plus lointains ont dû avoir du mal à tout saisir, mais le gimmick de Bray Wyatt est parfait pour se permettre ça.

Paradoxalement, cette maîtrise du meta est assez peu surprenante du côté de la WWE, le bagage historique parle pour eux et en un sens pour ceux qui avaient eu la bonne idée de suivre Southpaw Regional Wrestling ont vu que ce ne sont pas les idées qui manquent quand la WWE se décide à parodier l’univers du catch. Ici, évidemment, le contexte de parodie était plus étrange et ce mélange entre léger et l’implication sérieuse de Bray Wyatt à tourmenter John Cena offre une ambiance plus particulière à ce segment.

Une pratique à réutiliser mais à ne pas généraliser

Le fait que les deux segments obtenant des réactions plus universelles soient ceux qui sont le plus télévisuels n’est pas étonnant. Ce cinematic wrestling n’est en fait que ce que la WWE feraient si elle était une série télé à défendre. Là où les codes du catch se versent plus dans le réalisme aujourd’hui, le fait d’enlever le public et le contexte de l’arène permet de suspendre plus facilement l’incrédulité. On va moins faire attention au kitch car il n’est pas entouré d’un cadre réel, il évolue dans un cadre cohérent, mis en scène.

Là dessus, Matt Hardy à la TNA avait montré qu’élaborer son univers hors du ring était essentiel à son personnage et cela permettait de construire l’aspect meta et sa part de « Broken » Matt Hardy. Et c’est ce qui a fait que la très faible utilisation de ce contexte là a déçu les fans quand ils ont lancé le personnage du côté de la WWE. La réussite de ces deux matchs doit encourager la WWE à réutiliser des segments plus télévisés.

Évidemment, sans les généraliser, les personnages avec les gimmicks les plus déconnectés du « réel » doivent toujours se confronter au public et offrir des moments sur le ring. Le Fiend a une très bonne mise en scène globale et ne doit pas être mis à part d’une audience live. Mais occasionnellement, à bonne fréquence, ce genre de segment aide à l’engouement autour du personnage et à le définir dans sa particularité.

Bien sûr, l’Undertaker et ses décennies d’histoires dans le catch n’avait pas vraiment besoin d’être défini, mais l’engouement autour de son Boneyard Match était bien plus important dans les réactions que ses derniers matchs à WrestleMania. À l’inverse, aucun intérêt de dresser ce genre de segment pour les autres personnages qui ont eux bien besoin de la foule. Des matchs ont tenu leur rang d’ailleurs même sans public notamment Charlotte et Rhea Ripley.

On ne peut pas décemment dire que cette période n’est pas étrange à vivre. Rien que le fait que le show continue alors que les autres sports ou divertissements culturels se soient arrêtés est une décision plutôt irresponsable de la WWE — qui dit que les catcheurs infectés par le coronavirus ne l’ont pas été sur les enregistrements par d’autres porteurs sains ? Ou que d’autres porteurs sains contaminent ensuite d’autres personnes ? Contrôler la température n’est pas suffisant et continuer relève plus de l’ego que de l’envie de « mettre des sourires sur le visage ».

La WWE a joué avec le feu, a offert et offre un spectacle dont on ne connaîtra jamais vraiment le coût humain face à la pandémie. Pour ce qui est du divertissement, elle offre l’occasion de se confronter aux limites du catch sans public mais aussi à quel point cet organisme vivant sait se battre pour muer en un spectacle différent et qui offrira toujours de quoi s’y intéresser.

Ce que l’on retiendra de cette période de catch sans public
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